À quoi bon ? Voir le lac Baïkal

Le train dilate le temps. Il module la patience, l’attente. Il invite la monotonie et la rêverie. Le train avance, quoi qu’il arrive, à allure constante, emportant avec lui les humeurs, les envies, les nécessités de ses passagers qui en ont accepté la contrainte. 
Le train parcourt la distance Moscou-Irkoutsk en trois jours et demi. J’ai fait durer le plaisir en m’arrêtant de temps en temps, il m’a fallu huit jours pour rejoindre le lac Baïkal. 

À quoi bon traverser la Russie en train ? Pour diluer l’espace-temps, prendre la mesure du territoire que l’on traverse, perdre ses repères. Et, enfin, arriver à l’embouchure de l’Angara qui se jette sous le lac gelé. A cet endroit précis, le temps suspendu permet à toute la palette de bleus de s’étaler comme chaque seconde écoulée depuis le départ. 

A cet endroit précis où l’eau rencontre la glace, le ciel et la lumière, j’ai su pourquoi j’étais là. Parce qu’il faut faire exploser son coeur à coup de belles choses, parce qu’il faut tanguer face à la réalité, parce qu’il faut voir ça, au moins une fois dans sa vie. 

Et parce que la deuxième fois et les suivantes sont aussi bonnes, j’ai recommencé tant que j’ai pu

152 heures

Au mois d’avril, entre Moscou et Vladivostok, j’ai passé 152 heures dans des trains. Quand je travaillais, c’était à peu de choses près le nombre d’heures mensuelles inscrites sur ma fiche de paie. 

C’est comme si, au mois d’avril, chaque heure habituellement passée à travailler/produire/gagner de l’argent avait été consacrée à penser à la marche du monde, à lire des livres bien trop épais pour la vie réelle, à dormir en laissant cours aux rêves les plus fous, à regarder défiler le paysage. A s’imprégner d’une langue dont seules des bribes me sont perceptibles, à descendre sur des quais, les pieds dans la neige, pour profiter du soleil printanier. A regarder le monde avec cette joie qui forme les plus beaux souvenirs. 

C’est comme si aucune minute n’était employée à se demander « qu’est-ce que je fais là ? » 

On m’avait dit que le transsibérien n’avait rien de romantique. On m’avait dit que peut-être, il était romanesque. Il est un peu plus que ça : 152 heures de temps suspendu. Qui n’en rêverait pas ?

Ce que je sais des femmes russes

« Alors, les Russes sont-elles vraiment les plus belles femmes du monde ? », m’a-t-on évidemment demandé. Et bien, je n’en sais rien. Je n’ai pas vu toutes les femmes du monde.

J’ai croisé le chemin de beaucoup de femmes russes, dans les trains et les hôtels. Mon environnement n’a pas été très perturbé. Comme en France, certaines étaient très belles, d’autres moins. Comme en France, certaines étaient même éblouissantes. Certaines étaient très apprêtées, d’autres moins. Certaines correspondaient au cliché qu’on plaque sur la Russie, des brindilles plus blondes que blondes à la beauté froide. 

Ce que je sais des femmes russes, c’est que comme les femmes françaises, elles ont des cernes de fatigue, le teint brouillé au réveil. Elles ont du poil aux pattes si elles ne s’épilent pas, elles ont les seins qui tombent avec l’âge, les rides qui se creusent et puis le corps qui devient récalcitrant. Elles sont saoulées quand leur gamin est pénible et quand on les drague lourdement. Elles ont mal aux pieds en talons hauts, elles ont le coeur qui bat quand on leur offre des fleurs sur le quai des gares.

Oui, je les ai trouvées belles. Elles m’ont offert à manger, m’ont demandé d’où je venais et où j’allais. Elles m’ont montré tout un tas de trucs par la vitre du train, j’ai presque tout compris.

Apres un mois à sillonner ce pays, ce que je sais aussi des femmes russes, c’est qu’elles ont été beaucoup moins étonnées de savoir que je voyageais seule que les hommes à qui j’en ai parlé. Et, honnêtement, ça ne m’a même pas surprise. 

P.S. : J’ai croisé plein d’hommes aussi, évidemment, quelques uns sont d’ailleurs cités ici. Mais moins que de femmes. Les hommes, respectueux, se sont généralement tenus à bonne distance de la « jeune française » (oui, ici, tout le monde a cru que j’avais 18 ans). Un soir, certains d’entre eux ont enfermé leur copain ivre dans un compartiment pour qu’il ne vienne pas m’importuner. Alors, merci aux hommes russes.