J’ai eu un rêve d’enfant, devenir journaliste. Parmi mes rêves d’adultes, il y a la Russie.
Quand je suis entrée au journal, il y a quelques années, des écrivains français ont pris le transsibérien. Certains ont écrit des carnets de bord, Maylis de Kerangal a produit Tangente vers l’est. Elle a romancé le Baïkal, les heures distendues, l’arrivée à Vladivostok…
Il soulève un pan de rideau et jette un oeil à travers la vitre, côté couloir. Dehors, c’est toujours la même nuit chromée et le train qui roule sans faillir, franchissant un à un les fuseaux horaires, désagrégeant le temps à mesure qu’il parcourt l’espace ; le train qui compacte ou dilate les heures, concrétionne les minutes, étire les secondes, progresse arrimé au sol et pourtant désynchronisé des horloges de la Terre : le train comme un vaisseau spatial.
Au fond de moi, j’ai su qu’un jour, je prendrai ce train-là. Que je saurai comment mon corps ressent cette traversée, ce que mon coeur en retient.
Au fond de moi, j’ai su qu’il y avait des rêves d’adultes.
Et, logiquement, quand j’ai quitté mon rêve d’enfant, il était temps d’accomplir mon rêve d’adulte.