Il faut que vous le sachiez

Il y avait, au générique d’une émission de radio, cette phrase prononcée, « Je vous écris d’un pays lointain », qui m’a bercée. Puis il y a eu, au lycée, la frustration de l’étude ardue et aride d’Henri Michaux, dont le Plume – Lointain intérieur m’a semblé trop confus, trop intime aussi, pour le faire mien.

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Dix ans

Il y a dix ans, il s’est passé pas mal de choses. Je vivais à Nantes, où j’ai emménagé à nouveau il y a quelques mois. Je suis partie en voyage seule pour la première fois, c’était à Dublin, une poignée de jours dans la pluie et le froid. J’ai rencontré quelqu’un qui m’a initiée à Chris Marker.

Je n’ai pas vu sa Lettre de Sibérie (1957), mais elle commence par une phrase : « Je vous écris d’un pays lointain ».

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Rencontrer la fille-Baïkal

Je peux résumer pourquoi je pars en voyage. Parce que je tombe amoureuse des images.

Je ne vais pas aller à Iakutsk, ni à Oïmiakon où il fait si froid. En faisant des recherches sur sa Lettre de Sibérie, j’ai découvert que Chris Marker y est passé. De là bas, il confronte les mots et les images. Il nous dit de nous méfier.

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9285 km de lecture

  • Vingt mille lieues sous les mers, Jules Verne
  • La Guerre et la Paix, Léon Tolstoï
  • A ce stade de la nuit, Maylis de Kerangal
  • Freedom, Jonathan Franzen
  • Le portrait de Dorian Gray, Oscar Wilde
  • Orgueil et préjugés, Jane Austen
  • Un amour impossible, Christine Angot
  • Tout peut changer, Naomi Klein
  • Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, Harper Lee
  • Mauvais sang ne saurait mentir, Walter Kirn
  • Mon traître, Sorj Chalandon
  • Intérieur nuit, Marisha Pessl

A suivre…

Au loin, mes rêves

La tête collée contre la vitre d’un train, il m’arrive de me demander combien de temps les souvenirs du paysage qui défile dureront. Il m’arrive de souhaiter ne jamais en oublier les détails, puis j’en oublie toujours les détails. Souvent, je sais que c’est la dernière fois que je le vois ainsi, ce paysage. Que la prochaine fois, il aura changé, ou qu’il n’y aura pas de prochaine fois.

J’en oublie toujours les détails, mais les sensations, les sentiments, les tiraillements restent intacts. La tête collée contre la vitre d’un train, je ne cesse de dire adieu aux paysages.

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… Et à la fin

Où est le bout du monde ? Se compte-t-il en kilomètres, en heures d’avion, en temps de solitudes ? Hier soir, en observant un planisphère où seules les villes étaient représentées, j’ai vu la Terre comme une constellation. J’ai tracé le trajet du transsibérien parmi ces étoiles. J’ai vu, d’une certaine manière, le bout du monde, celui qui touche le ciel.

Je ne sais pas exactement où je vais, je ne sais pas à quoi ça ressemblera. Je sais que c’est loin, très loin. Je sais que « très loin » c’est relatif, que mon cerveau est encore incapable de conceptualiser les kilomètres à avaler.

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Le sens de la marche

Il y a quelques années, dans un train qui me ramenait vers Paris, je me suis demandée pourquoi je choisis souvent le sens de la marche. Il y a quelque chose de rassurant, d’aveuglant aussi, dans le fait de regarder vers l’avant. Voyager dans le sens inverse, c’est accepter de dire au revoir aux paysages. C’est regarder en face ce qu’on quitte. Parfois, j’en ai le courage.

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Le grand solo

Je suis déjà partie seule. Il y a un an environ, j’ai fait mes bagages pour le Mexique. J’avais besoin de vacances, il était temps de voir des baleines. Je suis allée me paumer à l’extrême ouest du pays, dans un morceau de désert que vient lécher le Pacifique.

Avant de partir, je me suis dit « si tu arrives à faire ça, tu pourras tout faire. » J’ai réussi.
Depuis, j’ai quitté mon boulot. J’ai quitté ma vie pour la renouveler. J’ai pris des billets pour la Russie.

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Rêve d’enfant, rêves d’adulte

J’ai eu un rêve d’enfant, devenir journaliste. Parmi mes rêves d’adultes, il y a la Russie.

Quand je suis entrée au journal, il y a quelques années, des écrivains français ont pris le transsibérien. Certains ont écrit des carnets de bord, Maylis de Kerangal a produit Tangente vers l’est. Elle a romancé le Baïkal, les heures distendues, l’arrivée à Vladivostok…

Il soulève un pan de rideau et jette un oeil à travers la vitre, côté couloir. Dehors, c’est toujours la même nuit chromée et le train qui roule sans faillir, franchissant un à un les fuseaux horaires, désagrégeant le temps à mesure qu’il parcourt l’espace ; le train qui compacte ou dilate les heures, concrétionne les minutes, étire les secondes, progresse arrimé au sol et pourtant désynchronisé des horloges de la Terre : le train comme un vaisseau spatial.

Au fond de moi, j’ai su qu’un jour, je prendrai ce train-là. Que je saurai comment mon corps ressent cette traversée, ce que mon coeur en retient.
Au fond de moi, j’ai su qu’il y avait des rêves d’adultes.

Et, logiquement, quand j’ai quitté mon rêve d’enfant, il était temps d’accomplir mon rêve d’adulte.

L’élan

Il y a du temps qui s’étire et d’autre qui passe à toute allure. Il y a des mois entiers à penser un voyage et l’impression qu’il n’arrivera jamais, qu’il n’est même pas réel. Puis il y a des secondes en suspension, des frissons infimes, des basculements intérieurs. Il y a l’élan, celui qui prend au coeur, jamais à la raison, et qui dit : « Ça y est ».

Je pars dans une semaine. Ça y est. 

Un jour, pour décrire l’instant d’avant une rupture, j’ai écrit : « L’instinct se réveille. On ne sait pas d’où naissent ces picotements typiques dans les bras et les jambes, ces prémices à la boule au ventre, ces mécanismes du corps qui prévient que quelque chose va arriver. Ces sensations, c’est le basculement, un vol plané vers l’inconnu. Quelques secondes en apesanteur, pour dire au revoir à quelque chose que l’on connait. »

Le corps du voyage n’a rien de celui de la rupture. Le corps du voyage attend ces signaux, ces trepignations intérieures, mais toujours il prévient que quelque chose est imminent. Toujours, l’instinct se réveille. J’ai des frissons de plaisir et des papillons dans le coeur à l’idée de partir. Ça y est.