la fanfare

rue de Turenne - Paris

contre-jour de 12h11

Une fois n’est pas coutume, je vais écrire. Cinq ans – un peu plus, en réalité – que je poste des photos ici, en silence. Le premier post s’appelle « la muette », d’ailleurs. Pendant ce temps, j’ai écrit ailleurs, pas toujours ce que j’aurais aimé, pas toujours comme je l’aurais voulu, mais c’est là bas que j’ai écrit, pas ici. Ici, j’ai tout montré en filigrane : les joies, les chagrins, les absences, la lassitude, les voyages, les évasions… Pas grand-chose n’a échappé à cet espace.

Jeudi, ça fera cinq ans jour pour jour que je vis dans mon appartement. Le même qu’au début, mais pas tout à fait identique, un peu comme moi. Cinq ans que le soleil frappe les vélux aux mêmes heures de la journée, cinq ans qu’il fait chaud en été et froid en hiver, cinq ans que j’entends le voisin parler trop fort au téléphone et mal baiser ses conquêtes d’un soir. Cinq ans que je me cogne régulièrement au même endroit, cinq ans que je connais les bruits, les odeurs, les couleurs de ce cocon.

Jeudi, ça fera cinq ans que mes dimanches sont rythmés, été comme hiver, vers 11h, par une fanfare qui vient arpenter ma rue, la combler des mêmes airs atroces. Cinq ans que je maudis ces mélodies, cinq ans que ma crispation, le dimanche à 11h, est la même. Cinq ans que je me dis qu’il faudrait que je descende photographier cette fanfare. Je ne l’ai jamais fait.

Ce matin, en rentrant de la laverie – cinq ans sans lave-linge – je l’ai aperçu. Un musicien de métro, avec son petit ampli harnaché sur une structure de caddie. Un poste suranné crachait les terribles mélodies et sa trompette venait compléter le cliché. Pendant cinq ans, perchée dans mon appartement sous les toits, j’ai fantasmé une fanfare amateur, enthousiaste bien que mauvaise, un défilé festif en costumes repassés. En cinq ans, je n’avais jamais croisé la fanfare endimanchée, pas plus que le musicien. En cinq ans, tout ceci m’a échappé, et j’ai maintenant le sentiment d’avoir percé un grand mystère.

Dans le couloir, les cartons pliés patientent. L’illusion est terminée, je peux partir, dans un endroit où d’autres fanfares m’attendent.