« C’est loin ! »

Irina a 22 ans, les cheveux oranges comme son t-shirt et des yeux verts un peu las. Son corps maigre est enfoncé dans un pouf sans âge, elle est, avec sa tante Elena, gérante d’un hôtel à Ekaterinburg. Elle bafouille quelques mots d’anglais, moi quelques mots de russe, voilà ce qu’on a pu se dire :
« Je ne connais pas très bien la Russie, je suis juste allée dans le village de mes parents où j’ai grandi, ici à Ekaterinburg et une fois dans une ville voir un musée avec l’école. Je ne sais pas si j’ai envie d’en voir plus. Peut-être Saint-Petersbourg parce que ça a l’air joli. Mais pas prendre le train !

J’aimerais voir l’Europe et les Etats-Unis mais je ne sais pas si je pourrai. Je ne sais même pas tous les pays qu’il y a en Europe, c’est loin ! J’irai en avion si je peux. 

Ici on est bien, on a du travail surtout avec des femmes qui viennent travailler en ville la semaine et qui dorment dans le dortoir. Les deux chambres individuelles on les garde pour les touristes, surtout en été. Tu n’es pas la première de la saison, mais presque ! Vous êtes nombreux à faire ça, je ne sais pas pourquoi. »

Être là et nulle part 

Cette semaine, entre Moscou et Irkoutsk, j’ai pris quatre trains, posé mes bagages dans cinq hôtels, traversé cinq fuseaux horaires. J’ai avalé plus de 5000 kilomètres de voie ferrée, 5000 kilomètres de paysages russes parfois monotones, parfois surprenants. 
Les trains circulent à l’heure de Moscou, dont je ne fais que m’éloigner. De façon pragmatique, mes journées n’ont fait que perdre une heure ou deux à chaque étape. Mais, ce qui s’est passé, c’est que me suis extirpée petit à petit de la réalité horaire. 

J’étais là, j’étais vraiment là. J’ai visité Ekaterinburg, Novosibirsk et Krasnoiarsk, des villes où jamais de ma vie je n’aurais imaginé m’arrêter. Je suis descendu marcher sur des quais de gares perdues dans la steppe. J’ai tout vu, tout regardé, je me suis promis de me souvenir de tous les détails. C’était bien la réalité. 

J’étais là, j’étais vraiment là. En même temps, j’ai le sentiment d’avoir expérimenté nulle part, un état second si particulier que seul ce voyage-là pouvait créer. Ne sachant jamais quelle heure il est ici, ni où est ici, ne sachant pas quand il faut manger, ni exactement quand le jour va tomber.

Mais c’est le charme de cette aventure. Là et nulle part, le jour tombe toujours et le voyage continue.